Depuis deux ans, avec mes collègues du groupe Socialiste, Ecologiste et Républicain du Sénat, nous proposons des solutions innovantes pour lutter contre l’ubérisation du travail qui menace l’ensemble de notre modèle économique et social tout en exploitant des travailleurs pauvres faussement indépendants. Après une première proposition de loi portée en janvier 2020 par Monique Lubin pour le recours aux coopératives d’activité et d’emploi, le groupe socialiste poursuit ce travail législatif avec une deuxième proposition de loi pour donner des droits sociaux aux travailleurs des plateformes numériques.
Il s’agit cette fois de lutter contre l’indépendance fictive de ces travailleurs en leur ouvrant la possibilité d’action de groupe et de contrôle par les prud’hommes de la place de l’algorithme dans les relations contractuelles.
Une nouvelle proposition de loi déposée par notre groupe a été examinée par le Sénat ce 27 mai 2021. Elle s’attachait à :
- Étendre la procédure d’action de groupe aux travailleurs des plateformes pour leur permettre de faire reconnaitre plus facilement et collectivement en justice leur qualité de salarié.
- Abroger les dispositions du code du travail portant sur la présomption de travail indépendant et instaurer à la place la présomption de contrat de travail dès lors que le travailleur tire au moins 2/3 de ses revenus professionnels de « l’utilisation d’un algorithme exploité directement ou indirectement par une personne ».
- Donner la possibilité aux conseils de prud’hommes saisis de demandes de requalification d’exiger la production de l’algorithme utilisé par une plateforme et de recourir si nécessaire à un expert. En effet, l’algorithme constitue en quelque sorte la boite noire de la subordination du travailleur : il est à la fois son outil de travail et l’outil de sa subordination, dont personne ne sait rien car ses paramètres de fonctionnement ne sont pas connus et s’avèrent en réalité accessibles qu’à un nombre de personnes très réduit du fait de la compétence technique nécessaire. Il est essentiel que les algorithmes amenés à régir de plus en plus le monde du travail (et pas seulement) soient désormais encadrés, afin que la puissance publique puisse les contrôler.
Le groupe Socialiste, Ecologiste et Républicain du Sénat regrette vivement que la droite sénatoriale et le gouvernement refusent d’avancer sur ce sujet essentiel. Ne nous y trompons pas, le dévoiement du statut de l’indépendant et de l’autoentrepreneur ne se limite pas à l’économie numérique. Il touche tous les secteurs et représente une évolution en profondeur : de l’agent immobilier de réseaux nationaux traditionnels qui fonctionnaient avant avec des salariés, à la garde d’enfant ou au recrutement de caissières, chefs de rayon par la grande distribution pendant la pandémie, et même aux avocats…
Il s’agit d’une vraie bombe à fragmentation pour le code du travail et le salariat qui fait lentement mais sûrement son œuvre, sans entrave à ce jour. Dès lors, il constitue un enjeu majeur pour notre modèle social.
Ainsi, en rejetant cette proposition de loi, la droite sénatoriale a choisi son camp. Celui du gouvernement d’aller mezzo voce, vers cette société du cyberprécariat et d’un sous statut, et donc de protéger les plateformes plutôt que les travailleurs de plateformes et non celui d’une juste régulation de l’algorithme, du travail décent au 21eme siècle, de la Justice et du progrès humain.
Pourtant, il est urgent de combattre toutes ces dérives. La meilleure solution reste le salariat pour éviter que ne se dresse pour ces milliers de travailleurs le spectre du retour au tacheronnage du 19ème siècle.