Mon intervention dans la discussion générale sur le projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire

Ce 24 septembre 2019, je suis intervenu dans la discussion générale sur le projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire en qualité de chef de file pour le groupe socialiste et républicain du Sénat sur ce texte. J’ai insisté sur la fausse bonne idée du Gouvernement de création d’une consigne sur les bouteilles en plastique qui irait à l’encontre des lourds investissements consentis par les collectivités locales pour collecter et trier ces déchets. Par ailleurs, j’ai reconnu certains points positifs de ce projet de loi tout en soulignant ses insuffisances, qui feront l’objet d’amendements que je défendrai lors de l »examen des différents articles de ce texte.

Vous pouvez visionner mon intervention : 

Texte de mon intervention :

Monsieur le Président,  Madame la Ministre,  Mesdames les Rapporteures,  Mes chers collègues,

Je voudrais tout d’abord remercier, une fois n’est pas coutume, Madame la Rapporteure Marta DA CIDRAC qui a su dès le stade de l’examen en commission évacuer le sujet de la consigne pour recyclage.

Nous avons ainsi pu faire adopter notre amendement de manière quasi-unanime pour ne pas acter une consigne sur les bouteilles plastiques écrite par et pour les industriels de la boisson. Espérons que cette consigne qui n’a rien à voir avec le souvenir de la consigne du verre que nos anciens ont connue ne revienne pas par la fenêtre.

Malgré le bel emballement et – si j’ose dire – l’emballage médiatique de la consigne que le gouvernement tend à vendre aux Français, le Sénat s’est courageusement élevé contre cette mesure inique qui consiste à privatiser, une nouvelle fois mes chers collègues, une part du service public assuré par les collectivités locales.

Car c’est bien cela dont il s’agissait. L’objectif avoué du gouvernement est bien, sous couvert d’atteindre un taux de recyclage de 90% des seules et uniques bouteilles plastiques en PET clair, d’instaurer une consigne qui obligerait les citoyens à ne plus utiliser leur bac jaune mais à les remettre contre rémunération dans des automates gérés par le secteur privé. Belle économie circulaire ! Mais pour qui, à vrai dire ? Pour les lobbies de la boisson, Madame la ministre, disons-le clairement.

Se faire taxer par la direction de Coca Cola France de « conservatisme environnemental », et par vous-même, Madame la ministre, sur une radio de service public ce matin, est un indice de cette proximité qu’il existe entre vos services et le Collectif Boisson comme la presse spécialisée s’en est fait l’écho. Proximité avec les lobbies qui a déjà fait fuir un certain Nicolas Hulot.  

Il faut que les Français comprennent les profondes raisons qui nous animent car nous partageons les objectifs de réduction du plastique. Le sujet est plus complexe qu’il n’y paraît. Ce projet de consigne a tout de la fausse bonne idée.

Premièrement, notre système de gestion et de traitement des déchets est actuellement en pleine refonte en raison de la généralisation des consignes de tri. Cette grande transformation qui engage plusieurs milliards d’euros d’investissements des collectivités va permettre à la France de se doter d’un outil public extrêmement performant en matière de collecte et de tri des déchets. Nos centres de tri vont d’ici 2023 – soit bien avant 2029 – être en capacité de traiter la totalité des emballages quelle que soient leur matière, plastique ou autre.
C’est une révolution silencieuse qui est déjà bien enclenchée. Les exemples de la Belgique ou encore de la Suisse sont là pour nous confirmer que ce système de gestion publique des déchets peut tout à fait fonctionner sans consigne pour recyclage. L’objectif de 90% est, Madame la ministre, à portée de main pour les collectivités et c’est de la chambre des territoires que nous vous adressons ce message. De plus, avec ce système, ce n’est pas 90% que les collectivités vous proposent d’atteindre mais 100% des emballages plastique recyclés d’ici trois ans ! ce qui correspond d’ailleurs à l’un des engagements de votre gouvernement.

Deuxièmement, le modèle français en matière de gestion des déchets tire sa force du fait de la simplicité du geste de tri et de la collecte en porte à porte. Demander maintenant aux Français de changer leurs habitudes de tri – uniquement pour certains emballages comme les bouteilles plastiques – est un non-sens et risque, confirmé par une étude de l’ADEME sur le sujet, de perturber les efforts réalisés sur d’autres catégories de déchets.
Si la consigne était un système miracle, cela se saurait. Et de nombreuses études illustrent que la mise en place de celle-ci n’a aucun impact sur la réduction des déchets sauvages ou sur la consommation de plastique à usage unique. Ainsi, en Allemagne, la consigne a provoqué une explosion de la consommation des bouteilles en plastique. Le système de consigne pour recyclage valide en réalité la consommation de plastique en neutralisant, en déculpabilisant l’acte d’achat. Le consommateur-citoyen se voit rassuré et encouragé à acheter des bouteilles en plastique plutôt que de s’interroger sur le tout plastique.

Vous le savez, cette consigne est conçue par et pour les vendeurs de boissons. Et voilà qu’hier, vous déposez en catastrophe un amendement pour sauver ce dispositif promis à un avenir incertain dans cet hémicycle.

Nous y reviendrons dans le débat, mais j’attends toujours la réponse à ma question : quelle plus-value pour le citoyen qui d’ores-et-déjà mettait sa bouteille plastique dans le bac jaune ? Et je ne parle même pas des collectivités qui vont devoir faire le tri entre les bouteilles consignées et celles non consignées… Quelle usine à gaz… Quelle impréparation… C’est comme cela que vous envisagez la concertation avec les collectivités territoriales… Et pour quel intérêt ?

En dernier lieu, j’aimerais insister sur un point qui nous est cher. Le sujet de ce projet de loi est-il de savoir si l’on est pour ou contre la consigne ? ou bien est-ce de trouver les moyens sortir de cette civilisation du plastique pétrosourcé ?

Vous le savez le plastique est aujourd’hui le premier débouché de l’industrie pétro-chimique. Ce n’est pas simplement aux citoyens de changer leur comportement mais bien aux metteurs en marché de repenser leur sur-utilisation.

Le plastique se retrouve partout et représente une pollution massive qui s’introduit dans l’air, dans l’eau, jusqu’au fond des océans et dans nos sols. Toutes les études scientifiques démontrent que l’anthropocène a pour autre nom plasticocène, l’ère du plastique. Devant ce fléau massif qui s’observe aussi bien à l’œil nu qu’au microscope, nous proposons de nombreuses mesures de lutte contre cette pollution. Car nous pensons que c’est le vrai débat de cette loi et vos discours, Madame la ministre, tendent à nous convaincre que vous n’êtes pas loin de partager ce point de vue. Ne prenons pas ce sujet par le petit bout de la lorgnette avec la consigne sur les bouteilles plastiques mais élargissons la lutte à l’ensemble des emballages et des plastiques à usage unique.

Parlons des micro-fibres textiles synthétiques qui se retrouvent dans nos rivières et que les stations d’épuration sont dans l’impossibilité de filtrer.

Parlons du sur-emballage des aliments et des produits, parlons de la hiérarchie des modes de traitement du déchet, parlons recyclage des plastiques consommés hors foyer, donnons ensemble des objectifs clairs et chiffrés à nos entreprises pour qu’elles s’engagent dans une transition circulaire.
Parlons de l’obsolescence programmée de nos biens dits durables, parlons réemploi, de l’export de nos déchets etc., etc.

Voici la forêt de plastique cachée par la consigne sur les bouteilles. Autant de sujets sur lesquels les Français nous attendent pour dessiner l’écologie non pas de demain mais d’aujourd’hui. Nous nous insurgeons contre le déversement de plastiques en tous genres dans nos rivières, dans nos océans et qui pollueront pour des centaines d’années nos biotopes.

C’est la raison pour laquelle, nous vous proposons un panel de mesures pour vous faire sortir de l’hypocrisie et du greenwashing compulsif.

À ce titre, l’un de nos premiers amendements vise à prévoir un grand plan national contre la pollution plastique à partir de 2020. La France, en tant que premier producteur européen de déchets plastiques, a une responsabilité importante à prendre. Au regard de la pénétration profonde de cette matière dans la totalité de nos écosystèmes, il est urgent de se doter d’un cadre juridique pour réduire efficacement la production et la consommation de plastique en se donnant des objectifs contraignants.

Par ailleurs, si vous ne vous étiez pas braqués sur cette consigne, nous aurions pu sincèrement accueillir votre projet de loi avec bienveillance car de nombreuses dispositions nous semblent intéressantes et à améliorer.

C’est le cas du renforcement de l’information aux consommateurs prévu au titre I qui nous semble crucial pour développer l’économie de la réparation, du réemploi ; économie très présente sur nos territoires.
À titre d’exemple, en Maine-et-Loire, les ressourceries surpassent chaque année des records de fréquentation et ont impulsé au cœur de l’Anjou une économie du réemploi, une économie du don et de la réparation. Je pense aussi à la réussite des territoires zéro chômeur de longue durée, lancés sous la précédente législature, et qui, grâce au soutien de l’économie sociale et solidaire, raniment des territoires ruraux et redonnent de l’espoir aux citoyens privés d’emploi. En ce sens, il est très important de créer le fonds de réemploi solidaire pour booster ce secteur économique.

Aussi, le succès remporté par des applications d’aide à l’achat responsable démontre à bien des égards l’intérêt des Français à connaître la qualité des produits, leur traçabilité ou encore leur impact écologique. Il apparaît essentiel de pouvoir rendre aux consommateurs-citoyens cette information qui leur est due. Car si nous voulons véritablement changer nos modes de consommation et inviter le marché à se plier à l’impératif environnemental, l’information est un levier redoutable et très efficace.

En outre, la lutte contre les invendus non-alimentaires prévue à l’article 5 emporte également notre adhésion. Nous vous savons, Madame la ministre, très impliquée sur ce thème depuis la destruction d’invendus par Amazon et encore récemment par Go Sport. Mais pour qu’un souhait se réalise, il faut assortir cette velléité de sanctions efficaces ; ce que nous proposerons. Il faut également faciliter le don en rectifiant des aberrations fiscales qui encouragent les entreprises à détruire leurs invendus plutôt qu’à les donner à des associations.
Autre point largement positif, la création de nouvelles filières REP prenant en charge des déchets jusqu’ici destinés à l’incinération ou à l’enfouissement faute de possibilité de recyclage. La refonte du fonctionnement des éco-organismes est également fondamentale.

Se pencher sur l’économie circulaire, c’est donc s’interroger profondément sur le système de production. C’est prendre en compte la totalité du cycle de vie d’un produit créé, c’est en un mot, devenir responsable. C’est l’introduction de la rationalité écologique dans la rationalité économique. Moins de ressources mais une meilleure conception.

C’est tout le sens de l’éco-conception à la base des produits mis en marché à laquelle nous sommes très attachés.
Et nous vous soutenons dans la mise en place d’une REP Bâtiment qui pourrait être une solution pour mettre fin au scandale des déchets sauvages vécu par d’innombrables citoyens et élus locaux qui luttent parfois au péril de leur vie contre ce désastre écologique.

Vous l’aurez compris, Madame la ministre, nous sommes loin de nous opposer de manière dogmatique à ce projet de loi, bien au contraire.  

Toutefois, il faut arrêter de vouloir cornériser les parlementaires et en l’occurrence les sénateurs qui sont à l’écoute des territoires et connaissent bien la question de la gestion et du traitement des déchets. Il aurait été judicieux de lancer une véritable concertation avec ceux qui détiennent l’expertise plutôt que des industriels attirés par le gain.
Malgré votre campagne de communication agressive à l’égard d’un Sénat qui serait rétrograde en matière environnemental, nous vous tendons la main et vous demandons de bien vouloir entendre les représentants des territoires !

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